5. M. AUBINEAU
Un traité inedit de christologie de Sévérien de Gabala, In Centurionem et contra Manichœos et Apollinaristas. Exploitation par Sévère d’Antioche (519) et le synode du Latran (649).
1983, 166 pp. et 1 pl. h.-t.
Les œuvres de Sévérien de Gabala, le malheureux adversaire de saint Jean Chrysostome, avaient été frappées de «damnatio memoriae». Après des travaux poursuivis pendant trois quarts de siècle (récupérations à son profits de textes apocryphes et diverses éditions «princeps»), son corpus littéraire a été en grande partie reconstitué.
Voici une nouvelle homélie, demeurée jusqu’ici inédite, qui fut prêchée à Constantinople, aux environs de l’année 400. L’ampleur et la structure du texte lui donnent les allures d’un traité de christologie, en trois parties: hiérarchie des actes de foi, dont le Centurion de Capharnaüm occupe le sommet; discussions avec des Manichéens, puis avec des Apollinaristes, dont l’anthropologie compromettait la foi chrétienne en un Sauveur, Dieu et Homme (le mal est-il inscrit dans la «nature» ou dans un acte libre? Le Sauveur a-t-il éprouvé des «passions», non seulement dans son corps, mais jusque dans son âme?). Ces pages inédites, traduites et commentées, apportent des lumières nouvelles sur la culture religieuse de Sévérien de Gabala: sur l’exégète, déjà apprécié, mais aussi sur le théologien, qu’on dédaignait sans l’avoir beaucoup lu. Le commentateur reste fidèle à la méthode qu’il avait pratiquée pour Grégoire de Nysse et Hésychius de Jérusalem. Il s’applique à éclairer Sévérien par Sévérien, en jetant des passerelles d’un bout a l’autre de ce corpus, tant au plan du vocabulaire qu’au plan de l’exégèse biblique et des thèmes doctrinaux.
Les historiens du Manichéisme et de l’Apollinarisme trouveront à glaner dans un texte qui leur renvoie l’image qu’un prédicateur et son auditoire se faisaient de ces sectes adverses. Ils apprendront peut-être aussi quelque chose dans le commentaire, puisque l’auteur, pour rendre raison de plusieurs passages obscurs, a relu différents pamphlets du IVe siècle contre les Manichéens et contre les Apollinaristes.
Bien que ce traité ait été oublié depuis treize siècle, il avait été non seulement cité, mais encore exploité, par Sévère d’Antioche (519) et, dans la mouvance de Maxime le Confesseur, par le Synode du Latran (649). Cédant à de nouvelles curiosités, l’éditeur nous entraîne non plus en amont mais en aval de son texte, dans les courants monophysite et néochalcédonien: Dis-moi comment tu cites, et je te dirai qui tu es! Cela nous vaut deux chapitres d’histoire des doctrines aux VIe et VIIe siècles. Ils sont particulièrement bienvenus dans les Cahiers d’orientalisme, puisque des sources syriaques et arméniennes ont été utilisées.
Deux chapitres, plus techniques, sont consacrés au procès d’authenticité, pour restituer à Sévérien ce texte transmis sous le nom de Chrysostome par un manuscrit grec de Moscou. Le procès est d’abord fondé sur des arguments de critique externe. On n’a pas souvent la chance de pouvoir rassembler un tel faisceau de preuves: non seulement des citations très anciennes de Sévère d’Antioche et du Synode du Latran, mais, mieux encore, une référence faite par Sévérien lui-même à son homélie In Centurionem, dans son autre homélie In illud: «In qua potestate haec facis».
Un procès de critique interne, basé sur une étude minutieuse de «la manière de Sévérien» — ses citations bibliques, ses thèmes familiers, ses formules récurrentes, ses doublets —, confirme l’attribution à Sévérien. Le catalogue des procédés stylistiques, des chevilles et des tics littéraires qui caractérisent son écriture, servira de point de départ aux chercheurs futurs qui essaieront de restituer à Sévérien d’autres homélies, transmises encore sous le nom de Chrysostome, soit inédites, soit imprimées, mais reléguées dans l’enfer des «spuria».
Le chapitre sur la vie et l’œuvre de Sévérien de Gabala dresse le bilan critique de soixante-dix ans de recherches, dont les avancées ont été conditionnées par bien des tâtonnements et des fluctuations. Un index verborum complet est appelé à rendre d’inappréciables services. Cet ouvrage, dont la lecture ne rebutera pas le non-spécialiste, apporte du neuf, sur Sévérien de Gabala, mais bien au-delà.
Prix : 150 chf